Vint-quatre mois, dont neuf fermes ! C’est le verdict du jugement rendu par le tribunal correctionnel d’Amiens ce 12 janvier 2016 à l’encontre des huit travailleurs licenciés par Goodyear et poursuivis par le parquet suite à une action collective qui déboucha sur la séquestration de deux cadres. Une séquestration qui concernait le directeur des ressources humaines et le directeur de production pendant une réunion. Alors que l’entreprise et les deux cadres supérieurs dans une salle de l’usine ont retiré leurs plaintes, le parquet s’est obstiné à mettre en œuvre une justice sociale bien inique.
Nous n’avions pas vu une chose pareille depuis la répression des mineurs grévistes de 1948, bien qu’un ministre de la justice, André Marie, du Parti radical (PRS), l’avait refusée à l’époque. Il semble que beaucoup de magistrats soient candidats à rééditer la création des sections spéciales dans ce pays aux effluves brunes et persistantes.
Au-delà du caractère ignoble et injuste de ce jugement, c’est une arme lourde de l’État que le gouvernement a choisi de dégainer pour intimider le monde du travail dans son ensemble, au cas où il serait tenté de défendre ses emplois et ses droits dont l’opération de destruction massive est en cours. À l’époque du conflit, un site s’était soumis à une réorganisation du temps de travail et l’autre se révoltait contre pour mener un conflit qui trouvera sa conclusion douloureuse dans sa fermeture.
Dans la presse bourgeoise parisienne, un avocat patronal a commenté aussitôt le verdict comme étant la volonté des juges de « souligner que la violence n’a plus sa place au travail ». Qu’est-il vraiment violent entre des licenciements massifs et une porte de salle de réunion de négociation bloquée par un pneu ? Qu’est-il violent entre l’appétit financier sans fin d’actionnaires parasites avec (déjà !) quatorze anciens Goodyear qui se sont suicidés depuis leur licenciement et deux cadres de direction qui n’ont subi que légèrement l’expression d’une colère alors qu’ils sont payés pour ça ?
L’histoire sociale témoigne qu’une part de la viande à produire a toujours cherché à se rebiffer et il est encore évident que les cuistots de la politique chercheront toujours à la ficeler s’ils ne parviennent pas à l’attendrir pour que les possédants se régalent à la mastiquer sans effort. Il en sera toujours ainsi.
Dans ce contexte actuel, les différents gouvernements, de droite comme de gauche, sont parvenus à transformer la dette spéculative privée qui a conduit à la crise financière de 2008 en une dette publique. Ce qui permet aisément la poursuite en accéléré de leurs efforts politiques à porter des coups sur les plus exposés de ce monde, où seule la loi du marché devrait régner en détruisant un dispositif global du droit qui prétendait jusqu’alors protéger quelque peu la partie la plus fragile du contrat de travail.
Ce jugement du tribunal d’Amiens est effectivement la manifestation du pouvoir d’État qui, par son parquet et ses juges du pénal aux ordres, criminalise les récalcitrants au jeu de massacre économique en l’absence de mobilisation de l’ensemble des exploités. Les épisodes de criminalisation récents des salariés d’Air France, de l’inspectrice du travail d’Annecy et d’un salarié de Téfal confirment cette volonté glaciale de l’État de tranquilliser les détenteurs du capital, quelles que soient les manifestations de leurs calculs égoïstes.
Il est urgent que le monde du travail réagisse, s’organise et se mobilise pour inverser le rapport de force afin de rompre avec cet ordre politique féodal et capitaliste. Il serait vain d’imaginer que la ministre de la Justice, Taubira, intervienne au cours de la voie d’appel pour infléchir ce qu’elle a précédemment ordonné avec ses comparses Macron, Valls et Hollande. Tout comme il serait vain d’attendre que tous les gorilles s’évadent des cages des zoos et investissent les tribunaux correctionnels pour souhaiter chaleureusement aux juges, selon une chanson…, une bonne année !