Depuis le 22 mars 2016, dans le cadre du mouvement social contre le projet de loi Travail, des syndicalistes s’échinent à promouvoir la grève reconductible à travers un appel intitulé On bloque tout !. Petit état des lieux de l’initiative par un membre de son collectif d’animation.
Élaboré en mars 2016 par des militants de SUD et de la CGT, l’appel On bloque tout ! puise sa dynamique initiale dans celle construite autour de L’Appel des syndicalistes à la grève générale, lancé en 2010 lors du mouvement social contre la réforme des retraites. L’idée est simple : rassembler, au-delà des appartenances organisationnelles (mais sans pour autant les nier), les militants syndicaux qui pensent que seul un blocage réel de l’économie par la grève reconductible pourra venir à bout du projet de loi Travail. Mais le rejet du nouvel enfant terrible du gouvernement n’est pas la seule préoccupation qui réunit les signataires : faisant le constat que le syndicalisme perd de la vitesse à mesure qu’il abandonne le terrain revendicatif, l’appel On bloque tout ! propose aussi d’investir de nouveaux champs de bataille, et notamment celui du temps de travail, en donnant vie dès aujourd’hui aux campagnes syndicales pour la semaine de 32 heures, pour l’instant seulement « animées » par la CGT et Solidaires.
Fin avril, l’appel avait été signé par plus de 1 300 syndicalistes, mais aussi par plus de 70 structures syndicales en tant que telles (syndicats, fédérations syndicales, unions locales, etc.). Les étiquettes sont variées (CGT, SUD, CNT, CNT-SO, FO, FSU, etc., et même CFDT !), preuve que des dynamiques intersyndicales peuvent se construire à la base autour de revendications audacieuses, en dehors des logiques d’appareil.
Dans un premier temps, la dynamique créée autour de On bloque tout ! s’est essentiellement traduite par une diffusion large et massive de l’appel sur Internet, mais surtout dans les structures syndicales, les entreprises et, bien sûr, les manifestations contre le projet de loi Travail. Deux présentations publiques de l’appel ont également été organisées, à Paris le 24 mars et à Nantes le 14 avril. À Paris, des liens ont aussi été noués avec la Nuit debout, qui investit depuis plusieurs semaines la place de la République, et en particulier avec les animateurs de la commission « grève générale », désireux de remettre la contestation du projet de loi Travail au cœur de l’occupation de la place. Dans la foulée de ces rencontres, des signataires de l’appel ont participé à des actions de blocage concrètes : celui des McDo de République et de gare de l’Est le 14 avril, celui des McDo, Subway et Quick de la gare du Nord le 20 avril et celui du dépôt de bus RATP de Saint-Denis le 21 avril.
Mais, pour l’heure, le moment fort aura surtout été le samedi 23 avril, date de la première rencontre nationale des signataires de l’appel, qui s’est tenue à la Bourse du travail de Paris et qui a réuni près de 150 personnes. Le contexte était d’autant plus favorable à cette rencontre que, quelques jours plus tôt, le 51e congrès de la CGT avait appelé à organiser des « assemblées générales dans les entreprises et les services publics pour que les salariés décident, sur la base de leurs revendications et dans l’unité, de la grève et de sa reconduction ». Une résolution importante, bien qu’un brin timide et venant certes un peu tard, mais qui ouvrait des perspectives autrement plus intéressantes que les journées d’action de plus en plus espacées auxquelles nous conviaient les directions syndicales depuis le début du mouvement. Les discussions nous ont occupés toute la journée, essentiellement autour de trois thèmes : un retour critique sur le début du mouvement social, les liens possibles avec la Nuit debout dans une perspective de convergence des luttes et l’avenir de l’appel On bloque tout ! à travers un certain nombre d’initiatives censées appuyer et renforcer la grève du 28 avril.
Malgré l’enthousiasme des participants, le constat a été fait que, au-delà de la tiédeur des directions syndicales – souvent accusées un peu facilement de « trahison » –, nous peinions aujourd’hui à mobiliser les salariés autour de l’idée d’une grève reconductible, a fortiori d’une grève générale. La faute au poids des lourds échecs passés, à l’évolution d’un monde du travail de plus en plus flexibilisé (comment faire grève dès lors qu’on travaille avec des contrats à la journée ?), mais aussi à la répression à l’œuvre au sein de nombre d’entreprises, où les entretiens préalables à sanction se sont multipliés ces derniers temps dès lors que des salariés se sont mobilisés. Le travail de sensibilisation aux ravages annoncés du projet de loi Travail reste donc encore à faire, et ce parallèlement à la création de caisses de grève et au renforcement des liens interprofessionnels et interluttes pour sécuriser un maximum les grévistes. En cela, visibiliser le travail de la commission « grève générale » pour remettre au cœur de la Nuit debout la question de la lutte des classes nous a paru essentiel.
Désormais, la balle est dans le camp de chacun : à nous de pousser à la grève et à sa nécessaire reconduction dans les AG ; à nous d’appuyer les camarades qui franchissent le pas, surtout dans des secteurs où l’implantation syndicale est plus fragile (dans la restauration rapide par exemple). À nous, aussi, de donner corps le plus vite possible à cette revendication hardie – tant elle contrevient à l’air du temps – mais prometteuse : la semaine de 32 heures ! Car, comme l’écrivait Émile Pouget, ces revendications, « réalisées par une diminution des privilèges capitalistes, constituent une sorte d’expropriation partielle et ouvrent la voie à des revendications de plus grande amplitude ». Jusqu’à l’expropriation totale.
Guillaume Goutte
Syndicat des correcteurs CGT
Groupe anarchiste Salvador-Seguí