L’année 2017, année de transition ? Alors que la présidentielle réserve chaque jour son lot de surprises sur le délitement de la classe politique française, et alors que les candidats promettent tout un tas de choses à gauche, à droite et aux extrêmes pour appâter le chaland, comment se positionne et se recompose le syndicalisme, et en particulier le syndicalisme de classe ?
La CGT confortée dans sa première place
La principale actualité syndicale de ce début d’année 2017, ce sont sans doute les élections professionnelles dans les très petites entreprises (TPE), censées élire les représentants de ces salariés isolés qui siègeront dans les commissions paritaires régionales interprofessionnelles (CPRI). Commencé de manière chaotique après un report des dates d’un mois à la dernière minute, ce moment démocratique a largement été boudé par les salariés, qui n’ont été que 7,35 % à voter (lors du précédent scrutin, en 2012, ils avaient été 10,38 %). Ceux qui se sont exprimés ont largement choisi de porter la CGT en tête de ces nouvelles élections, avec un score de 25,12 %, loin devant la CFDT, qui affiche timidement ses 15,49 %, alors même que les médias et les politiques prédisaient son écrasante victoire (et, allant, celle du syndicalisme d’accompagnement sur le syndicalisme de classe). Sur la troisième marche du podium, FO, qui remporte 13,01 % des voix.
Une fois passée la satisfaction de ne pas avoir vu la CFDT prendre la première place, au moins deux grands constats s’imposent. Le premier, c’est que les trois grandes centrales syndicales françaises accusent un net recul par rapport au précédent scrutin : – 4,4 points pour la CGT, – 3,77 points pour la CFDT et – 2,2 points pour FO. Le second, c’est que l’Unsa réalise un grand bond en avant, avec + 5,14 points (12,49 % des voix). Bien sûr, les communications officielles des « perdants » ont toutes pointé leurs responsables : le ministère du Travail, qui aurait tout fait pour que cette élection reste confidentielle. Certes, le gouvernement n’a pas aidé, craignant sans doute que les opposants à la loi Travail ressortent renforcés de ces élections professionnelles. Pour autant, l’on ne gagne rien à ne pas se remettre aussi en cause, alors même que ce scrutin témoigne, une nouvelle fois, du peu d’intérêt que porte le monde du travail à la chose syndicale.
Non, ces élections n’ont pas été particulièrement plus chaotiques que les précédentes, et le report des dates du vote est en partie imputable à la CGT et à FO, qui se sont bêtement acharnés contre deux syndicats régionalistes – le LAB (basque) et le Syndicat des travailleurs corses –, multipliant, en vain, les recours juridiques. Quant à l’ascension de l’Unsa, elle s’explique surtout par le gros travail d’implantation que mène cette organisation depuis quelques années dans certaines branches, un travail de terrain qui finit par porter ses fruits dans les urnes, là où les grosses confédérations ont parfois tendance à se reposer sur leurs lauriers ou à ignorer des pans entiers du monde du travail, généralement les plus précarisés. Il n’y a qu’à voir la récente – et plutôt réussie – syndicalisation par l’Unsa des chauffeurs de VTC. La progression fulgurante de cette centrale créée en 1993 – qui, dans ces élections, talonne désormais FO ! – n’est pas de très bonne augure, au regard des positions prises par cette organisation syndicale au niveau national comme dans certains secteurs (dans le bâtiment, par exemple, ils ont notamment fait campagne en opposant les salariés français aux travailleurs détachés). Et si le syndicalisme de classe veut l’enrayer, il lui faudra cesser de s’arc-bouter sur ses bastions historiques, sur ces grosses boîtes où il est encore influent – sans pour autant bien sûr les abandonner –, pour poursuivre son travail d’approche et d’organisation de ces salariés souvent oubliés de lui. Si sortir du syndicalisme d’entreprise et revenir à la construction d’un syndicalisme d’industrie paraît aujourd’hui urgent et nécessaire – à l’heure où les communautés de travail explosent avec l’éclatement de la production (sous-traitante, etc.) –, espérons aussi, surtout, que les élus investiront réellement les CPRI (aussi laborieux qu’y soit le travail à faire) et que les promesses affichées sur les tracts de campagne ne resteront pas lettre morte. Dans le cas contraire, les prochaines élections ne manqueront sans doute pas de les sanctionner à nouveau, et peut-être plus sévèrement.
Les suites de la mobilisation contre la loi Travail
Si l’on n’en parle moins, la loi Travail n’a pas été totalement oubliée des agendas syndicaux. Le 11 janvier dernier, à Paris, la CGT a appelé à un rassemblement pour soutenir la proposition de loi d’abrogation de la loi Travail soumise ce jour-là au Sénat par le Groupe communiste, républicain et citoyen. Et, le 31 janvier, c’était au tour d’une intersyndicale amputée CGT-FO-FSU (quid de Solidaires ?) d’organiser un meeting, au gymnase Japy, à Paris, pour réaffirmer son opposition à la loi la plus emblématique du quinquennat Hollande. Un meeting qui n’aura pas servi à grand-chose sinon à se tenir chaud et à donner une tribune syndicale à ceux qui, dans la campagne présidentielle, disent avoir combattu la loi Travail.
Les suites les plus concrètes du mouvement social du printemps sont, pour l’heure, essentiellement juridiques, avec le dépôt, par la CGT et FO, d’une plainte commune devant l’Organisation internationale du travail (OIT) pour « atteinte à la liberté syndicale, au droit à une négociation collective libre et progressiste et au droit à un licenciement juste ». Parallèlement à ce terrain juridique pas forcément très prometteur, la mobilisation dans les entreprises va bientôt s’imposer, certaines directions ayant déjà inviter les organisations syndicales à s’asseoir autour d’une table pour renégocier certains accords… En la matière, les unions locales et départementales ont un rôle fondamental à jouer : recenser les entreprises de leur territoire qui veulent faire entrer la loi Travail et apporter un soutien logistique, militant et financier aux équipes syndicales et aux salariés qui entendent s’y opposer. Cette dynamique interprofessionnelle est d’autant plus nécessaire que, on le sait, les rapports de force syndicaux sont désormais souvent fragiles au sein des boîtes.
Dans l’arène de la présidentielle
La campagne pour l’élection présidentielle s’agite depuis plusieurs mois maintenant, et c’est parfois avec des pop-corn qu’on aurait envie de suivre les révélations et le cours de toutes ces affaires qui n’en finissent plus de montrer les politiques sous leur vrai jour. Car il y a quelque chose de jouissif à voir ainsi s’effondrer les mastodontes et à regarder tous ces hypocrites cyniques et dangereux se débattre avec si peu d’aisance face à l’opinion.
Côté syndical, l’on espère, à la CGT, que la confédération ne rejouera pas le petit jeu de Bernard Thibault qui, en 2012, avait appelé à voter François Hollande pour battre Nicolas Sarkozy. Pour l’instant, Philippe Martinez, qui jouit actuellement d’une très forte popularité au sein de l’organisation, s’est plutôt montré rassurant en matière de sauvegarde de l’indépendance syndicale, allant même jusqu’à tacler publiquement Jean-Luc Mélenchon, dans un entretien aux Échos, où le sauveur suprême de la France insoumise s’est vu qualifié, avec d’autres, de candidat très loin des réalités du travail. Nous n’avons toutefois pas évité quelques cafouillages, comme ce soutien implicite à Arnaud Montebourg dans la course à la primaire de la Belle Alliance populaire, par le biais d’un article, publié dans Libération la veille du premier tour, signé par le grand moustachu, son homologue de FO et le candidat du made in France.
Revendiquer l’indépendance syndicale, ce n’est pas, bien sûr, s’interdire d’intervenir dans les campagnes politiques des uns et des autres. La présidentielle peut au moins avoir cela de positif qu’elle ouvre des espaces de débat un peu partout – à la télé, dans les journaux, dans les gymnases, dans la rue. S’y inviter, sous quelque forme que ce soit (en organisant un comité d’accueil syndical, en se mettant au lancer de farine ou d’œufs, en prenant la parole, la plume ou le micro), pour remettre la question sociale au cœur de ces discussions n’est peut-être pas inutile, au regard de l’audience que peuvent avoir ces moments-là. C’est l’occasion, entre autres, de court-circuiter les discours sécuritaires et identitaires qui profitent de ces tribunes pour s’imposer en régulateurs des relations sociales et nous détourner des vrais enjeux, qui sont ceux de la lutte des classes. Mais c’est aussi et surtout l’occasion de montrer que le syndicalisme de classe porte en lui-même un projet de société et qu’il n’a nul besoin, pour cela, des organisations politiques.
Guillaume Goutte
Syndicat des correcteurs CGT
Groupe anarchiste Salvador-Seguí