Le vendredi 7 avril 2017, une salariée de la SNCF travaillant sur le secteur Paris-Saint-Lazare a tenté de mettre fin à ses jours suite à un entretien avec sa hiérarchie. Elle est arrêtée in extremis par l’un de ses collègues alors qu’elle est en train de s’ouvrir les veines au sein même du service. Le cas, au sein de l’entreprise de transport, est loin d’être isolé et s’inscrit dans une funeste série. Quatre semaines avant, c’est Edouard, syndicaliste SUD-Rail et travaillant à la gare Saint-Lazare, qui se suicide en se jetant sous un train. Son acte fait suite à des mois de pressions managériales de la part de sa ligne hiérarchique qui ne supportait pas son engagement syndical. Les camarades de SUD-Rail rapportent également des cas de suicides moins médiatisés à Mulhouse, à Béziers, à Bordeaux, à Dijon et à Saintes.
Il est bien évidemment difficile d’identifier précisément les tenants et les aboutissants d’un tel phénomène dramatique qui a de quoi rappeler celui ayant touché France Télécom entre 2008 et 2009, période durant laquelle une trentaine de salariés s’étaient donné la mort face à un « management par la terreur ». Car, dans l’ensemble de ces cas, c’est bien la gestion du personnel qui est le plus souvent pointée du doigt. La SNCF, comme beaucoup d’organisations du service public, s’est convertie au management dans le courant des années 1990. Conversion qui s’est traduite, notamment, par une individualisation des évaluations (autrefois collectives) et l’introduction d’un avancement au mérite (auparavant uniquement à l’ancienneté), pour tenter de mettre fin aux solidarités entre travailleurs et travailleuses en isolant chacun et chacune dans la poursuite de ses propres intérêts.
Derrière ces manœuvres qui, aujourd’hui, ont cours dans presque toutes les entreprises, les directions voudraient nous faire croire à un capitalisme à visage humain. Elles cherchent à entretenir le mirage d’une entreprise méritocratique comme lieu de réalisation personnelle, débarrassée de ses oppositions de classe et de sa violence intrinsèque. Elles cherchent à imposer à chacun un horizon limité à celui de l’entreprise où seul l’individualisme primerait.
Car c’est bien là l’une des conséquences concrètes et directes de ce type de pratiques managériales : la mise en concurrence des salariés entre eux attaque les liens et les formes de solidarité présentes au sein des collectifs de travail et dans les organisations syndicales. Ces pratiques tendent à isoler les salariés, les rendant ainsi d’autant plus fragiles dans les rapports de force qu’ils entretiennent avec leur hiérarchie et sans défense face à la violence patronale.
Dans un tel contexte, les syndicalistes et, avec eux, tous ceux et toutes celles qui refusent de se prêter au jeu du management apparaissent comme des figures à abattre ; et ce, tout simplement parce que leurs pratiques collectives et solidaires, tout comme le discours de lutte de classe qu’ils véhiculent, viennent briser ce mirage de soumission docile que propose le management.
Au final, les suicides qui touchent la SNCF, mais aussi bien d’autres entreprises, ont de quoi inquiéter. Tout d’abord parce qu’ils démontrent que la classe capitaliste redouble d’effort pour presser les travailleurs et les travailleuses et se gaver de toujours plus de profits, mais aussi parce que, d’une certaine manière, ces suicides apparaissent comme une violence retournée contre soi et qui n’a pas trouvé de voie sociale, ou syndicale, pour s’exprimer.
Groupe anarchiste Salvador-Seguí
Paris, le 19 avril 2017