L’anarcho-syndicalisme face aux élections de 2017

Réflexion stratégique au sujet de Montebourg, Hamon, Mélenchon et Filoche 

Précisons par avance ce que nous entendons par anarcho-syndicalisme. Nous prendrons ici sa définition large, à savoir un courant politique prônant le syndicalisme comme outil fondamental d’émancipation  des travailleurs, indépendant des partis politiques, élaborant et appliquant en lui-même ses revendications sur la  base du fédéralisme sans recours direct à l’État. Sera donc considérée comme telle dans cet article toute participation anarchiste ou libertaire à l’œuvre syndicaliste malgré les multiples nuances.

Traditionnellement et par conviction, les anarchistes et anarcho-syndicalistes sont plutôt abstentionnistes. Pour autant il n’est pas rare de croiser des militants se rendant aux urnes pour diverses raisons : votes blancs (pour dénoncer), votes de propagande (pour promouvoir certains discours et propositions), votes « antifascistes » (contre Le Pen), votes de soutien partiel pour des points précis (abolition de la peine de mort, grâce des militants…). Mais cela reste une position minoritaire (et encore tabou) dans le mouvement libertaire en général. Les études de Simon Luck, sociologue spécialiste de la militance libertaire, nous l’ont confirmé.

Résumons ce choix politique abstentionniste de délégitimer le système électoral. L’élection dans le cadre proposé par les régimes démocratiques ne permet pas de représentation réelle ou suffisante pour améliorer la condition ouvrière. Les arguments proudhoniens mettront en avant notamment :

  • Que le suffrage universel s’apparente à une loterie. Le système ne donne aucune certitude de l’application du suffrage exprimé.
  • Que le cadre constitutionnel empêche de traiter des questions les  plus fondamentales, à savoir la propriété du capital de laquelle tout découle (1).
  • Que l’élection seule du corps législatif et de la tête de l’exécutif  n’impactait pas les autres institutions qui façonnent le peuple tel l’entreprise, l’église, l’école, la justice etc. Le peuple devient façonné pour l’État, il le façonne peu.

Bakounine pour sa part verra dans la démocratie des bourgeois disposant du temps nécessaire et suffisant pour accomplir leur mandat parlementaire une inégalité flagrante avec les ouvriers qui ne peuvent étudier les problématiques politiques. Il dénoncera également, s’inspirant de la sociologie marxiste, le clivage de classe entre la bureaucratie rouge et la classe ouvrière dont les intérêts divergent et où le peuple doit obéir.

Les syndicalistes révolutionnaires mettront en évidence le rôle déterminant des minorités agissantes dans le processus de changement social et le caractère passif et peu enclin à la confrontation de la plupart des majorités. Indirectement, mais dans la même lignée et assez brillamment, Leon de Mattis (plutôt proche du situationnisme) montrera dans Mort à la démocratie comment la démocratie est  utilisée dans les mouvements sociaux pour permettre de justifier l’arrêt des blocages, comme dans les universités par exemple. On connait la suite avec Notre-Dame-des-Landes.

Les analyses sociologiques de Bourdieu montrèrent aussi la reproduction sociale des élites et de la « noblesse d’Etat ».

En réponse à cette situation, la base des propositions anarchistes s’est toujours inscrite dans deux propositions majeures, l’abolition de la propriété privée capitaliste au profit du travailleur, le fédéralisme intégral contractuel comme fondement  des structures économiques (entreprises privées ou publiques) et politiques (communes, régions, nations…) (2)

Si, en tant qu’anarcho-syndicalistes, nous restons de conviction abstentionniste pour la plupart, nous tâchons de ne pas faire non plus dans le « Tous pourris » poujadiste. Nous savons aussi que ce moment précis de l’élection dans la vie politique de toute institution est crucial pour faire valoir ses intérêts. La production en flux tendu accompagnée du spectacle de l’information en fait un moment de choix de l’action militante, notamment syndicale. C’est aussi l’occasion de faire le point et surtout le tri dans nos alliés sur le terrain dans certaines luttes. Les belles promesses, toujours peu sûres d’être appliquées, doivent pour les militants faire l’objet d’une cohérence d’ensemble. Il faut les moyens de l’action politique qu’on prétend avoir. Et pour ce qui est de l’analyse des libéraux tels Fillon ou Macron, il y a déjà de nombreux articles, notamment économiques, publiés ou relayés par la presse militante ou des collectifs comme les Économistes atterrés.

Montebourg au pays de Ronald

Certains auront pu voir Arnaud Montebourg aller à la rencontre des grévistes de McDonald’s à Paris. La rencontre fut organisée par son nouveau soutien Gérard Filoche, fraichement mis à la porte de la primaire de gauche, et le Syndicat CGT McDonald’s Paris et Île-de-France. Cette organisation n’a pas lancé d’appel à voter pour qui que ce soit. Elle invite toutes les organisations politiques (dans la limite du raisonnable bien sûr) à la soutenir dans son action. Les gains sont mutuels, les uns s’affichent solidaires et se montrent proches des salariés et syndicalistes, les autres font connaitre leur combat sur fond de soupçon de fraude fiscale au Luxembourg et mauvaises conditions de travail et rémunération. S’y sont déjà associés entre autre le Groupe anarchiste Salvador-Segui, le NPA en la personne de Phillipe Poutou, Gérard Filoche du PS. Ce dernier qui suit l’activité syndicale chez McDonald’s depuis longtemps en maitrise parfaitement la problématique.

Arnaud Montebourg s’est illustré pour l’occasion en appelant McDonald’s à « ouvrir des négociations » pour mieux répartir les bénéfices. Il s’est très justement et spontanément fait reprendre par Gérard Filoche présent sur place lui expliquant que juridiquement McDonald’s est principalement organisé en franchises et n’a juridiquement que peu de négociations d’entreprise à gérer directement. Les franchises constituent des déserts syndicaux mais aussi et surtout des déserts de représentation du personnel. Ce qui a pu être mis en place chez McDonald’s Ouest Parisien, filiale de McDonald’s France, grâce à une majorité obtenue au comité d’entreprise ayant permis d’établir une plainte pour blanchiment de fraude fiscale, est impossible en franchise.

La reconnaissance des unités économiques et sociales est presqu’inexistante. Autrement dit, une personne peut avoir plusieurs établissements McDonald’s en déclarant qu’ils n’ont pas de lien entre eux. Vingt salariés dans un restaurant, trente dans un autre mais pas cinquante en tout, donc pas de Comité d’entreprise. Au-delà de cette situation, le véritable patron qui, indirectement, empoche les bénéfices, forme le personnel, vend le matériel et les procédures à appliquer pour les produire, c’est McDonald’s.

La décence exigerait donc d’abolir le droit de gérer en franchise qui constitue un outil potentiel  de fraude formidable. Car si les salariés concernés peuvent exiger la création l’unité économique et sociale, les preuves tels les contrats de travail du personnel allant d’un établissement à l’autre sont presque impossibles à obtenir sous peine de voir s’abattre la foudre patronale sur le salarié qui dénonce. Ce sont des secteurs entiers de l’économie qui fonctionnent selon ce principe : la restauration, le prêt à porter, le commerce…

Tout cela, le candidat Montebourg ne semble guère l’avoir assimilé. Appeler à ouvrir des négociations sans cadre légal propice et avec un rapport de force presque inexistant n’est pas prêt d’améliorer la condition des travailleurs. S’il a soutenu les propos de l’ancien inspecteur du travail Filoche sur les modifications légales relatives aux franchises, nous n’avons pas vu sur son site de campagne de propositions concrètes reprises par la suite. Le sort du candidat pour la présidentielle est, de toutes façons, scellé. Mais ses propositions manquent de sérieux pour pouvoir être véritablement « le candidat de la fiche de paie ».

Hamon, un néolibéral ?

Hamon s’est illustré récemment comme ministre de l’enseignement et député frondeur. Lors du conflit chez PSA Aulnay, il était de ceux, avec Filoche, qui virent avec sympathie les grévistes venus perturber les réunions de la direction de Solferino. Ministre de l’enseignement, il fut apprécié des parlementaires de gauche comme de droite pour sa disponibilité dans les débats. Il se fit remarquer par son ton, prenant rarement de haut ses pairs comme on sait si bien le faire à l’assemblée nationale. Les restes de la militance de terrain contre la réforme Devaquet et son engagement à l’Unef, sans doute.

Ministre, il condamne avec Arnaud Montebourg la politique budgétaire très austère du président Hollande et du Premier ministre Valls. Il est viré aussi sec. Il redevient député et marque sa différence en votant contre bon nombre de lois du gouvernement. Toutefois il n’œuvrera pas à la chute de Valls et consorts en votant la motion de droite contre la loi travail (ce que les communistes étaient prêts à faire). Les menaces de la direction du PS de s’opposer à leur candidature à l’avenir a sans doute joué un rôle. Mais les convictions ne suffisent pas dans la nécessité de faire chuter la loi travail…

Sa proposition de revenu universel a fait couler beaucoup d’encre. Bon en tout point pour certains, sous-marin néolibéral permettant de justifier la casse des services publics et du Code du travail pour d’autres, il est difficile de s’y retrouver dans tout cela. Il est vrai que la proposition fut soutenue par Milton Friedman, économiste de l’école de Chicago prônant une libéralisation capitaliste totale déréglementée. Elle est aussi défendue par d’autres tendances de droite libérale (chrétienne-démocrate de Boutin, sans doute inspirée par la charité catholique) et des tendances de gauche diverses (des écolos décroissants et socio-démocrates y voyant la réponse au chômage de masse et aux inégalités , gauche radicale et révolutionnaire notamment Bernard Friot, y voyant un moyen de révolutionner le capitalisme avec le salaire à vie et la gestion ouvrière de l’économie en élargissant le fonctionnement originel de la sécurité sociale à toute l’économie). Le revenu universel peut donc prendre bien des formes. Tout est dans les détails pour juger du programme et de sa recevabilité. Une application intéressante, dans le sens de Bernard Friot,  pourrait être le fruit d’un rapport de force et d’un engagement mutuel signé engageant les contractants, autrement dit un protocole d’accord de fin de conflit interprofessionnel suite à une grève générale. Les promesses électorales n’engageant en rien les candidats, c’est plus prudent.

Mais dans le cas Hamon, ce qui est frappant, c’est l’imprécision avec laquelle il proposa ce revenu universel. En effet, il ne précisait en rien son mode de financement et d’attribution comme nous le relate Le Figaro du 18 janvier 2017 sur son site internet.(3) Hamon signale simplement que dans un premier temps le RSA sera élargi aux jeunes et étudiants puis qu’une conférence sera organisée pour les modalités du revenu universel. Or, comme nous l’avons vu, il peut être proposé de façons bien différentes, de l’extrême droite à l’extrême gauche de l’échiquier politique. Le candidat Hamon n’avait même pas proposé une (fausse?) promesse électorale de modalité d’application, dans un sens ou un autre. Sous la pression, il expliqua vouloir établir ce revenu pour toute personne disposant de 1,9 fois le salaire minimum (smic) mensuel. Bref, rien de vraiment précis et assumé dès le départ pour un revenu d’une universalité toute relative et un financement peu détaillé s’orientant plus vers un transfert des allocations existantes…

En outre, Hamon ne semble pas clair sur la question européenne. L’Union européenne fonctionne comme une superstructure au-dessus des Etats souverains. Elle constitue une part non négligeable, si ce n’est même majoritaire, de décisions politiques appliquées. Les prises de décision sont centralisées dans le Parlement, la Commission et la Banque centrale européenne.

Les directives et traités ont rendu impossible, surtout en zone euro, la mise en place de politique de relance digne de ce nom avec un fort endettement budgétaire, des subventions, des nationalisations, etc.

L’Union européenne est un outil formidable au service des classes dominantes pour imposer une concurrence à outrance entre les travailleurs pour abaisser les salaires et rendre profitable ce qui était public ou réglementé: banques, télécommunications, énergie, transport… La crise étant passée par là avec des effets plus que dévastateurs en Europe du sud mais aussi en France, la rigueur et l’austérité budgétaire semblent indiscutablement empêcher l’amélioration de la situation économique immédiate. Ne parlons même pas de la situation écologique avec des réacteurs nucléaires tellement en piteux état qu’EDF a dû arrêter une grande partie de  son parc. Il faut bien s’en soucier, car la révolution n’est pas sur le point de réussir. La contestation de la Loi Travail nous le rappelle…

Le candidat Hamon, conscient de cette situation semble-t-il, a fait plusieurs propositions pas inintéressantes :

  • Annulation de la dette contractée par les pays de l’UE.
  • Défense de nos intérêts face au libéralisme économique.
  • Une véritable convergence sociale européenne.
  • Protection des lanceurs d’alerte.
  • Relance de l’Europe par la transition énergétique.
  • Moratoire sur le Pacte de stabilité.
  • Une PAC verte pour accompagner la transition agricole.
  • Vers une harmonisation fiscale en Europe.
  • Sortie du budget de la défense des règles européennes de déficit.

Mais, premièrement, cela reste très vague comme programme. Deuxièmement, il n’est pas le premier à avoir voulu changer la donne européenne. Syriza a essayé, sans succès. Et c’est même pris une grande claque… Donc, si l’Union européenne refuse ces modifications, que faisons-nous? Il serait illogique de reconnaître son caractère néfaste et d’y rester. En conséquence, sortir de l’Union serait nécessaire pour retrouver les marges de manœuvre. Mais le candidat Hamon ne parle jamais de cette hypothèse. Il faut pourtant la poser. Ce serait comme un syndicaliste se rendant en négociation et prévenant son taulier dès le départ : « Rassurez-vous, on ne se mettra pas en grève. » Aucun rapport de force ne serait possible. Nous nous retrouverions avec un Hollande bis renonçant, sans tentative de lutter, à sa promesse de renégociation  du traité de stabilité.  Où est donc la cohérence ?

De plus, Hamon veut réunir toute la gauche. Mélenchon a bien résumé la situation : « comment voulez-vous former une majorité pour abolir la loi El Khomri avec madame El Khomri comme député du PS ». (4) La fronde de la droite du PS semble déjà s’organiser. Les promesses de Hamon ne sont pas solubles dans le libéralisme de Valls et consorts. Retirer leur siège de député à ces individus mettrait en péril les législatives avec des candidatures dissidentes. Le PS est depuis longtemps irréconciliable. Le sort en est de toute façon jeté. Hamon semble avoir vraiment cru que gagner la primaire lui donnerait la légitimité suffisante pour faire valoir son programme. A moins de gouverner en 49.3 toute l’année… 49.3 qu’il veut supprimer… On ne voit décidément pas comment Hamon pourrait simplement tenir ses promesses de campagne.

Mélenchon, un jacobin souverainiste ?

Le candidat Mélenchon n’a pas chômé pour cette campagne. Refusant les dynamiques des mouvements politiques traditionnels, il s’est lancé dans l’aventure La France insoumise. Le principe était d’inviter un maximum de monde à contribuer au programme. Les citoyens de gauche venus d’horizons divers, du simple sympathisant aux universitaires, c’est un travail très riche et même loin d’être inintéressant qui fut fourni. Un travail d’ailleurs peut être trop important. Le mouvement ne semble pas en mesure de fournir en temps et en heure une synthèse de tous les travaux entamés. Et dans le cadre d’un article voulant fournir une analyse anarcho-syndicaliste un peu approfondie, il est regrettable de ne pouvoir obtenir plus de détails.

Saluons au moins la dynamique. Pour le coup elle semble réelle. Les consultations, les travaux de synthèse, les auditions ont été réellement menés. Les documents de travail disponibles en attestent.

Alors, où y a-t-il des passerelles, des possibilités d’entente ?

Les désaccords sont multiples comparativement aux propositions traditionnelles anarchistes. Néanmoins, nous n’avons pas vu d’incohérence majeure dans le programme ou le discours de Mélenchon et son mouvement. A l’image des organisations qui le composent, les militants issus de cette dynamique semblent nettement susceptibles de travailler avec les anarcho-syndicalistes, avec toutes les difficultés que cela peut impliquer, comme d’habitude.

Il convient par ailleurs d’expliquer notre différence avec ce mouvement. La France insoumise et les organisations qui la constituent sont inspirées par la révolution française de 1789. La référence à la mise en place d’une assemblée constituante comme revendication majeure nous le montre assez bien, les propos relatifs à Robespierre du Parti de gauche et la fascination marxiste pour cette figure également. L’ensemble du programme s’inscrit en conséquence dans un projet de démocratie, sans doute réelle, mais centralisée, jacobine. De plus, cette gauche dite radicale a clairement exprimé son refus de maintien dans ces conditions dans l’Union européenne. En ce sens, elle est souverainiste : elle veut garder son indépendance, ou tout du moins un grand maximum d’autonomie (5).

Le souverainisme peut prendre bien des formes. Dès lors qu’une organisation politique revendique des marges de manœuvre supplémentaires, elle peut être qualifiée comme telle. Le Front national aspirant à sortir de l’Union européenne en est une forme, d’inspiration  nationaliste voire xénophobe, avec un peuple français qu’il faudrait préserver de l’étranger, de l’immigré, de l’exilé. La France insoumise aspirant à maitriser l’interventionnisme économique au détriment de l’UE en est une autre, mais avec à l’inverse pour principe la régulation régularisation des sans papiers ou la liberté de circulation. Face à la tendance toujours plus grande à la centralisation des pouvoirs en Union européenne,  le fédéralisme libertaire peut être qualifié aussi de souverainisme, sans pour autant en proposer la même forme.

Qu’on ne s’y méprenne pas. Etre maître chez soi n’implique pas nécessairement un repli sur soi. Il est vrai qu’on peut légitimement s’interroger sur ce qu’est l’internationalisme dans le cadre de politique souverainiste. L’internationalisme est né de la volonté des travailleurs de s’entraider dans leurs combats respectifs face à leurs classes dominantes. Cette solidarité s’exprimait aussi bien par des messages de soutien, des motions d’orientation communes, que des dons pour les caisses de grèves ou des appels à ne pas aller travailler dans le pays des camarades en lutte. Cet internationalisme avait donc pour but de faire valoir des revendications locales pour des mouvements locaux, y compris nationaux.

Le souverainisme n’est donc pas mauvais en soi. Il peut prendre des formes variées. Il n’induit pas nécessairement le nationalisme. Et cela ne semble pas particulièrement le cas du mouvement de Jean-Luc Mélenchon. Certaines organisations qui le composent ont participé historiquement à des mouvements de solidarité internationale divers.

La véritable différence, et pas forcément une critique, qu’il semble falloir exprimer à l’égard du programme de Mélenchon, c’est l’appui sur lequel il se fonde.  Lorsque l’anarcho-syndicalisme naquit sur les ruines de la Commune de Paris, c’était en se souvenant que les décrets de celle-ci relatifs aux réquisitions d’ateliers par les ouvriers avaient été peu suivis d’effets. L’anarcho-syndicalisme avait donc à cœur de placer les ouvriers dans la dynamique économique et de les y former, les y préparer. C’est ainsi que l’anarchisme a toujours voulu préparer les classes ouvrières à gérer elle-même. Tel fut la tâche entre autre  des Bourses du travail, tel est la tâche des formations syndicales aujourd’hui pour préparer les militants à contrôler la gestion économique et sociale dans le comité d’entreprise, le comité d’hygiène sécurité et conditions de travail ou la délégation syndicale ou du personnel et les différents modules. C’est dans ce sens que s’exprime ce fédéralisme. Prendre le pouvoir centralisé dans une instance ne permet pas d’émanciper en soi les classes exploitées. Il faut donc construire à la base pour permettre la mise en place future du projet.

En définitive, l’assemblée constituante aussi intéressante puisse-t-elle être comme projet doit pouvoir s’appuyer sur des structures existantes. « Redonner le pouvoir au peuple » doit induire une analyse précise des composantes de celui-ci. Chacune d’elles doit donc disposer de son pouvoir sous peine de se voir subordonnée. Le peuple est une multitude hétérogène  inscrit dans une division sociale du travail. Cette revendication pourrait-elle s’inscrire dans un cadre centralisé et national ? À notre connaissance, la Sixième République ne trouve pas pour le moment de variante fédéraliste.

Les deux systèmes ont des qualités et des défauts. Le centralisme permet une mobilisation de moyens plus efficace, il peut vite devenir autoritaire. Le fédéralisme impose la non-intervention dans les structures composantes pour garantir leur liberté et autonomie, il mobilise et homogénéise difficilement et lentement. Aucun système politique n’est totalement centralisé ou fédéral. C’est un équilibre global. Étant donné la difficulté de trouver une synthèse  sur la sixième république, il est difficile de porter un jugement global sur les réformes proposées.

Les syndicalistes mis de côté

À droite certains sont décomplexés. Michèle Alliot-Marie nous vante déjà l’abolition du droit de grève des fonctionnaires. Peut-être veut-elle voir les « seuils » revus pour le plus grand plaisir du patronat. Depuis le temps qu’on en parle… Nous voyons sans cesse le patronat combattre les seuils de ses obligations sociales tout en revendiquant les seuils pour ses avantages.

Mais à gauche, chez Hamon comme chez Mélenchon d’ailleurs, il est frappant de lire et entendre peu sur la représentation du personnel. Car l’économie et le monde du travail, c’est la base de la société. C’est là que se situe le rapport de production qui définit en bonne partie les rapports sociaux. C’est donc sous ce rapport qu’on redéfinit le changement. A défaut d’une révolution, les moyens supplémentaires pour contrôler les patrons et organiser les travailleurs sont cruciaux.

La proposition de Montebourg d’ouverture de négociations citée plus haut  semble  consternante. Mais l’absence de proposition concrète à ce jour chez Hamon, comme Mélenchon et son Avenir en commun, hormis une très vague bonne intention de donner plus de droits aux représentants du personnel, est tout aussi consternante. Assemblée constituante, 49.3 citoyen, mais des syndicalistes avec plus de pouvoir et capacité d’action concrète détaillés et proposés dans le programme, nous ne le voyons pas. Hamon s’est fait remarquer auprès des salariés de McDonald’s à son tour avec ses propositions concrètes de Conseil administration cogéré moitié/moitié avec une représentation patronale et salariale à l’allemande, la taxe robot ainsi que le déverrouillage de Bercy, le ministère bloquant aujourd’hui les procédures de contrôle fiscales qu’il désire. Mais cela suffit-il ? C’est indispensable sans doute, surtout l’accès au conseil d’administration. En quoi cela modifie-t-il le problème des franchises sans représentation? Quels moyens supplémentaires aux institutions représentatives du personnel? Quelle représentation des sections syndicales? Jean-Luc Mélenchon a clairement dénoncé auprès de ces mêmes salariés quelques semaines plus tard l’absence d’unité économique et sociale chez McDonald’s. De même, cela inverserait-il en soi le rapport de force? Non, certaines enseignes de la restauration fonctionnent avec peu de franchises et connaissent des conditions de travail et rémunération similaires. Quels moyens donc ? Difficile à dire. Même si les mesures proposées sur d’autres points comme les aides aux jeunes et étudiants sont susceptibles d’aider au rapport de force dans la restauration rapide, cela ne permet pas d’assurer un meilleur appui aux sections syndicales présentes. Et nous attendons toujours le livret thématique de la France insoumise sur le Code du travail qui devait sortir mi-février et qui au final n’est plus prévu d’être édité, à en lire le site avenirencommun.fr.

La problématique des franchises évoquée plus haut détruisant les capacités d’action des travailleurs organisés n’en est qu’une parmi d’autres, plus ou moins traitées par les candidats. On pourrait citer les ubers et « auto entrepreneurs » salariés déguisés, le personnel  sans délégué sous le seuil de 11 salariés,  les capacités restreintes des syndicalistes minoritaires agissant dans les entreprises pour disposer des informations cruciales des différentes institutions représentatives du personnel, la réintégration des salariés licenciés faussement pour faute grave, les indemnisations de dommages et intérêts qui ne permettent pas de relever la tête et de donner envie de se lancer dans de telles procédures, etc. Les propositions sont toujours vagues, de belles formules, mais rien de concret à discuter ou débattre, car nous savons qu’en droit tout peut se jouer à la virgule près devant les juges !

On se demande si ces candidats s’imprègnent (s’inspirent) véritablement des syndicalistes. Et après tout, ce n’est pas leur travail. Pas étonnant que le plus cohérent de tous soit Filoche sur la question syndicale. Lui a un vrai vécu en la matière.

Les minorités agissantes et leurs alliances

Bakounine, de façon assez pragmatique voyait dans le développement des grèves un outil formidable pour faire adhérer les ouvriers à l’Internationale, les organiser les préparer, inverser le rapport de force en définitive. Il estimait que le jour où 10% de la classe ouvrière adhérerait à l’Association internationale des travailleurs, la révolution serait en marche. C’est dans cette logique que se sont constitués le syndicalisme révolutionnaire et l’anarcho-syndicalisme. L’idée était donc stratégique. Organiser l’impulsion qui donnera suite au mouvement social. Cette stratégie vaut toujours ; c’est le fondement de notre action anti-électorale (avec, sans doute, moins de romantisme insurrectionnel).

Mais s’il faut toujours veiller à augmenter notre nombre, la question des alliances, politiques ou syndicales, permanentes ou succinctes, finira toujours par se poser pour arriver à nos fins. L’élection présidentielle nous permet de mieux éclairer notre action.

Nous savons que bon nombre de syndicalistes de l’Unsa et de la CFDT adhèrent ou travaillent étroitement avec le Parti socialiste. Or, cette dernière organisation ne semble pas claire dans sa politique. Les tendances Valls, Montebourg et Hamon semblent difficilement fréquentables surtout pour les luttes interprofessionnelles quand les « camarades » sont au pouvoir. On peut également poser la question pour Jean-Claude Mailly de Force ouvrière qui semble plutôt proche de Montebourg. Au niveau local, le travail de terrain continue de toute façon quand il est possible, mais il ne peut qu’être ponctué.

Filoche semble une exception dans le Parti socialiste. Et son action s’inscrit dans une démarche syndicale de rapport de force.

Lui et ses partisans et soutiens devraient constituer en conséquence des alliés potentiels. Les organisations de la France insoumise aussi, notamment dans la CGT.

Le NPA et Lutte ouvrière ont toujours été impliqués syndicalement. Des alliances ont déjà lieux ici et là depuis longtemps. Rien ne semble inciter à arrêter cela.

Quant à savoir pour qui voter ou s’il faut s’abstenir, la question n’a que peu d’importance. L’anti-électoralisme anarcho-syndicaliste doit surtout poser la question de l’action des minorités œuvrant au rapport de forces sociales pour un projet d’émancipation et de justice sociale et de ce qui peut surtout l’empêcher.

Nathan
Groupe anarchiste Salvador-Segui
Ancien secrétaire général du Syndicat CGT McDonald’s Paris et Île-de-France

 

  1. C’est d’ailleurs pour cela que Proudhon refusait le principe de Constitution, lui préférant les libres contrats  fédéralistes renégociables et annulables.
  2. Bien sûr une société ne saurait se fonder que sur un contrat social. Les processus sociologiques à l’œuvre sont bien plus importants.  Il s’agit simplement d’un cadre pour limiter les abus d’une trop grande centralisation du pouvoir inhérente à chaque société.
  3. http://www.lefigaro.fr/economie/le-scan-eco/le-vrai-du-faux/2017/01/18/29003-20170118ARTFIG00198-comment-benoit-hamon-recule-sur-le-revenu-universel.php
  4. https://www.lesriches.info/01-02-2017/m%C3%A9lenchon-demande-%C3%A0-benoit-hamon-de-choisir-entre-lui-et-myriam-el-khomri
  5. L’indépendance totale existe rarement. Les conventions internationales signées par les États disposant d’une réelle séparation des pouvoirs les engagent vis-à-vis de leur propre population qui devient susceptible de recourir à la justice.

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