Un regard sociologique sur la BAC

Avec le mouvement contre la loi Travail au printemps 2016 et ses multiples blessés et mutilés, la question des violences policières avait d’ores et déjà commencé à se refaire une petite place dans les médias mainstream. La mort tragique d’Adama Traoré en juillet dernier puis le viol perpétrée par une « brigade spécialisée de terrain » (BST) sur le jeune Théo ont fini de propulser le sujet sur le devant de la scène médiatique, tout en faisant naître un peu partout dans l’Hexagone des mouvements de contestation.

Le livre de Didier Fassin La Force de l’ordre, paru pour la première fois en 2011, et réédité en poche aux éditions du Points en 2015, fait partie de ces livres qui permettent probablement de mieux comprendre les derniers évènements dramatiques et, surtout, de mettre en lumière les fondements racistes et violents de l’institution policières. Le type en question a donc passé quinze mois, entre 2005 et 2007, au sein de la BAC, partageant avec eux leur quotidien au commissariat mais également, et surtout, durant leurs patrouilles, les observant durant leurs multiples contrôles et interpellations.

Le moins que l’on puisse dire de cette enquête, c’est qu’elle est extrêmement riche. Les pages sont bien souvent pleines de descriptions de situations rencontrées et de témoignages (les sorties racistes retranscrites des flics sont collectors) qui rendent le propos profondément vivant. En accédant à leur quotidien, leurs discours et leurs modes de fonctionnement, on comprend mieux la manière dont se vivent les flics et notamment ceux de la BAC. Alors que ces condés avaient fortement investi leur boulot comme un métier d’action, l’ennui quotidien qui émaille leurs journées et nuits de travail les conduit à une surexcitation qui, alliée au racisme prégnant du milieu, favorise fortement les comportements ultra-violents à la moindre stimulation.

Le bouquin offre également une analyse globale de l’institution policière, puisqu’y sont relatés les propos des flics eux-mêmes, de leurs hiérarchies à leurs différents niveaux, mais aussi des habitants des quartiers qui subissent quotidiennement les agressions racistes, violentes et décomplexées de ces brigades. Cette perspective permet ainsi de sortir du constat réel, mais un peu simpliste, qui consiste à circonscrire le problème au fait que les policiers sont racistes : oui, ils le sont ; mais ce que l’enquête souligne, c’est la manière dont ce racisme s’inscrit dans le fonctionnement même de l’institution policière ; c’est-à-dire le processus par lequel l’entité se nourrit et nourrit les pratiques violentes et racistes des policiers. Fassin montre ainsi, entre autres, comment les politiques du résultat dont se sert massivement la classe politique au pouvoir légitiment et favorisent les pratiques policières de chasse aux sans-papiers et aux consommateurs de stupéfiant, les deux infractions les plus simples à résoudre et à comptabiliser comme enquête résolues.

Enfin, et c’est probablement là son intérêt majeur, ce bouquin sort du débat qui oppose une conception de la police comme bras armé au service de l’État à une vision des flics comme un État dans l’État. Pour Fassin, c’est parce que l’institution policière possède une véritable autonomie de jugement et d’action (en bref que les flics sont légitimés et protégés dans leurs actions violentes et racistes lorsqu’elles ont cours dans les quartiers) qu’elle joue pleinement le jeu de l’État, rappelant ainsi aux habitant des quartiers un ordre social spécifique, c’est-à-dire une hiérarchie des populations dans laquelle ils sont censés occuper une place subalterne.

La triste dimension sexuelle des dernières agressions relayées par les médias, avec en tête celle de Théo, marque un tournant dans le cycle ininterrompu des violences policières, et peut-être qu’indirectement le travail de Fassin peut permettre d’apporter de premières explications à ce phénomène des violences sexuelles qui, à mon avis, loin d’être nouveau, commence seulement à apparaître au grand jour. Effectivement, au fil des pages, on voit de plus en plus précisément apparaître un corps professionnel qui vit son rôle selon une perspective patriarcale, chargé, entre autres, d’humilier quotidiennement, au travers d’un rapport de force viril, les habitants des quartiers et notamment les jeunes qui y vivent. Étant donné le modèle viril sur lequel se construisent les flics de la BAC, et la perspective patriarcale qu’il donne à leur rôle, on voit un peu mieux dans quelle mesure les condés peuvent se sentir valoriser dans leur masculinité et réaffirmer dans leur rôle social en violant et en s’attaquant directement à la sexualité d’un jeune.

Bref, ce livre de Fassin est un livre à mettre dans toutes les mains, à lire avec attention, puis à ranger dans sa bibliothèque, à côté des bouquins de Mathieu Rigouste.

Bertrand
Groupe anarchiste Salvador-Seguí


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