Le 6 septembre dernier, face à un petit comité de cheminots, le président Macron lâche une petite bombe dans l’univers ferroviaire : il annonce son intention de vouloir mettre fin au régime spécial de retraite des cheminots, l’un des éléments centraux de ce corps professionnel. Il en profite également pour réaffirmer sa détermination à poursuivre l’ouverture à la concurrence du marché ferroviaire, déjà engagée depuis maintenant dix ans dans le secteur du transport de marchandises, en l’étendant au TER en 2019 et au TGV en 2021. La casse de l’entité ferroviaire est donc appelée, avec le gouvernement Macron, à se poursuivre dans les prochaines années, au détriment des travailleurs du rail, comme des Franciliens qui, chaque jour, empruntent les trains de la SNCF pour vivre et travailler.
Il faut dire que cette déclaration s’inscrit dans une longue tradition perpétuée, depuis plusieurs années, par la classe politique, main dans la main avec les directions successives de l’entreprise ferroviaire ; tradition qui consiste à attaquer le corps des cheminots à travers tout un ensemble de réorganisations et de réformes, et ce, tout en mettant fin à la logique de service public qui présidait, à l’origine de la SNCF, à l’organisation de son système.
Ces annonces ne sont pas anodines et nous concernent toutes et tous, à la fois en tant que travailleurs mais aussi en tant que Franciliens.
Afin de légitimer leurs politiques, l’État et le patronat conduisent ainsi, depuis plusieurs décennies maintenant, une campagne de désinformation majeure et matraquent sans relâche à qui veut l’entendre, avec le soutien des médias bourgeois, le même mot d’ordre : la privatisation du ferroviaire à travers l’ouverture à la concurrence serait synonyme pour tous d’une meilleure qualité de transport, d’une plus grande sécurité ferroviaire et d’une baisse du prix des transports. Surusa ce sujet, force est de constater que les principes de sécurité, de régularité et d’accessibilité des trains se sont peu à peu effacés au profit de ceux de rentabilité et de productivité qui s’imposent désormais comme principes hégémoniques. Toutefois, les promesses de la classe politique et de la direction de la SNCF se délitent face à l’exemple britannique qui a soumis à des logiques similaires son modèle ferroviaire.
Démantelée en 1993, l’entité ferroviaire britannique a été éclatée en 27 compagnies privées soumises, depuis lors, à la loi du marché ; processus de privatisation et d’éclatement qui donna rapidement lieu à une série historique d’accidents ferroviaires sur le territoire : il faut dire que le principe de sécurité s’accorde mal à celui de rentabilité. Parallèlement, les subventions publiques allouées aux compagnies privées britanniques ont explosé de 300 % quand l’augmentation des billets a, quant à elle, dépassé les 100 %.
Au sein de l’Hexagone, l’application des logiques de rentabilité à l’entreprise ferroviaire s’observe d’ores et déjà par le biais des augmentations régulières des tarifs, mais également à travers la diminution des déssertes. Car, c’est bien de cela dont il s’agit lorsque l’on parle de livrer à la logique du marché et de la concurrence tous azimuts l’univers du ferroviaire : les entreprises privées se jetteront, comme c’est déjà le cas dans le transport de marchandises, sur les trajets les plus juteux, abandonnant ainsi les espaces et déssertes peu ou pas rentables. En bref, des populations pas assez nombreuses ou pas assez riches se verront une fois encore sacrifiées sur l’autel de la rentabilité et du profit, et ce, dans un monde où l’inaccès à la mobilité par les transports condamne bien souvent à la précarité et à l’isolement.
Mais les attaques contre la SNCF ne nous touchent pas uniquement en tant que Franciliens, mais également en tant que travailleurs, dans notre solidarité de classe. Rappelons tout d’abord que le corps des cheminots fait aujourd’hui partie de ces cibles privilégiées qu’il convient, pour les classes dirigeantes, d’abattre et de décrédibiliser. En effet, voilà maintenant plusieurs décennies que les directions successives de l’entreprise, avec le soutien de la classe politique au pouvoir, quelles que soient les « orientations » de cette dernière, s’emploient à réduire au silence le corps des cheminots. Car les travailleurs du rail ont jusqu’à récemment constitué un corps professionnel qui a su s’organiser et se mobiliser pour défendre ses acquis spécifiques, mais aussi, parfois, pour des causes interprofessionnelles, notamment en prenant part, plus ou moins intensément (le corporatisme n’aidant pas toujours), aux mouvements sociaux qui se sont dressés contre les projets de destruction des droits des travailleurs. Cette capacité du corps cheminot à résister, si elle découle en partie de l’importance de l’activité ferroviaire dans le bon fonctionnement de l’économie, n’est également certainement pas sans lien avec la nature de son statut, qui, par la certaine protection salariale qu’elle confère aux cheminots, leur permet de peser lorsqu’ils décident d’engager un rapport de force.
D’un certain point de vue, les attaques qui visent les travailleurs du rail peuvent être identifiées comme étant de plusieurs ordres.
- Celles qui visent à affaiblir les cheminots en détricotant le cadre juridique qui détermine leurs conditions de travail et de traitement et de réalisation de leur activité. C’est dans cette catégorie que s’inscrivent l’annonce du président Macron de mettre fin au régime spécifique des retraites et le projet porté l’année dernière par le gouvernement Valls de mettre fin au statut cheminot. Rappelons ici que la rigidité de ce cadre juridique se justifie, entre autres, à l’aune du principe de sécurité. À titre d’exemple : faire rouler un train 8 heures au lieu de 6 heures sans pause n’est pas sans conséquence sur la sécurité du convoi et des personnes qui s’y trouvent.
- Celles qui touchent aux métiers même des travailleurs du rail. Car au fil des réorganisations internes et des recours à la sous-traitance, on voit se déployer, en filigrane, une logique de casse et de dépossession des savoirs spécifiques aux travailleurs du rail. Il s’agit là d’une tactique qui vise à enlever les compétences singulières qui faisaient des cheminots des travailleurs aux connaissances et savoirs irremplaçables au fonctionnement de l’organisation (ses mutations ne semblent d’ailleurs pas sans conséquence sur les cheminots, puisque l’entité ferroviaire enregistre visiblement depuis plusieurs années une multiplication de suicides de salariés directement liés aux réorganisations et aux nouvelles modalités de management déployées par les directions).
- Enfin, il faut également ajouter les attaques qui, sur le plan légal, s’inscrivent en zone grise, flirtant parfois avec l’illégalité. En outre, la SNCF vient d’être condamnée pour remplacement illégal d’agent gréviste. Simultanément, la direction de l’entreprise tente de l’entraver en augmentant le nombre de salariés devant se déclarer grévistes 48 heures avant le début du mouvement (manière pour elle de mieux contrer et de planifier les conséquences d’un mouvement de contestation) ainsi qu’en instituant un système de recensement des grévistes par une institution privée ; système qui laisse craindre un fichage systématique par la direction des agents prêts à s’engager dans un mouvement de grève. Cette velléité de réduire le droit de grève, la direction de la SNCF la partage avec l’UTP (Union des Transports Publics) qui regroupe le patronat du secteur. Lors de sa dernière rencontre du 21 novembre la fédération patronale a exprimé son désir de voir intégrer dans la prochaine loi sur les mobilités intérieures prévue l’année prochaine, tout un ensemble de mesures afin, dit la fédération de « limiter les abus du droit de grève » chez les travailleurs du transport public, et notamment chez les cheminots. Elle veut ainsi augmenter le préavis de grève à 5 jours, mettre fin aux grèves illimitées reconduites sans préavis, imposer aux grévistes de s’annoncer 48h avant le début du mouvement, mais aussi obliger ces derniers à se mettre en grève uniquement à leur prise de service (plaçant ainsi dans l’illégalité les arrêts de travail d’une heure, particulièrement impactant sur l’organisation du service).
Ces offensives conduites par l’État et les directions de l’entreprise peuvent être analysées à bien des égards comme des tentatives renouvelées visant à saper les piliers culturels et juridiques sur la base desquels s’était érigée l’identité collective des travailleurs du rail et qui constituait leur force au sein des luttes corporatives et sociales : conscience de classe, solidarité et culture technique.
Dans cette perspective, les enjeux liés à l’avenir de la SNCF nous concernent doublement, à la fois en tant que travailleurs, car toujours soucieux de sauvegarder les forces collectives prêtes à s’engager dans un rapport de force avec l’État et le patronat, mais également en tant que Franciliens, tant la mobilité constitue un besoin et une nécessité à laquelle chacun doit pouvoir avoir droit.
Bertrand
Groupe anarchiste Salvador-Seguí