« La vieillesse nous fait frémir
On ne veut pas croire au pire
Nos yeux ne retiennent d’elle
Qu’une image irréelle »
Le Vieux (François Béranger)
Parce qu’ils et elles sont souvent précaires, mal rémunéré-e-s, mal considéré-e-s, qu’ils et elles travaillent en sous-effectif chronique, les salarié-e-s des EHPAD (Établissements d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes) ont fait grève en début d’année 2018.
Parce qu’ils et elles ont souvent des membres de leur famille parmi les résident-e-s qui subissent les conséquences de la gestion managériale des Directions, les retraité-e-s ont soutenu les grévistes dans leur lutte.
Capitalisme – Immobilier – EHPAD
Si le personnel des EPHAD connaît des conditions de travail pénibles, si les salaires sont faibles, les résident-e-s doivent quand même payer le prix fort pour y séjourner. Une étude de la CNSA (Caisse Nationale de la Solidarité pour l’Autonomie) montre la grande diversité des prix d’un département à l’autre. 1616 euros dans la Meuse, 1623 euros dans la Haute-Saône : deux départements ruraux peu peuplés. 3154 euros à Paris et les Hauts-de-Seine, deux départements urbains.
Le coût du foncier n’y est pas étranger. Le prix de la chambre est lié au prix de l’immobilier, prix qui va s’accentuant en passant du public au privé non lucratif et enfin au privé lucratif. La même étude nous apprend qu’il y a d’avantage de places en EPHAD en zone rurale, qu’en zone urbaine. En 2016 la moyenne nationale pour 1000 personnes de plus de 75 ans était de 98 places. La moyenne en milieu rural était de 160 places.
7200 EPHAD dont 700 en Île-de-France hébergent 600 000 personnes. Pour être reconnu comme EPHAD, l’établissement médicalisé doit avoir conclu avec le Conseil départemental et l’Agence régionale de santé, une convention dite tripartite.
Le département finance majoritairement l’assistance et la surveillance des résident-e-s en perte d’autonomie. C’est le tarif « dépendance ».
L’Assurance Maladie prend en charge « les prestations médicales » et le personnel soignant normal. Sauf que bien souvent les résident-e-s sont les mannes des laboratoires pharmaceutiques avec une grande quantité de médicaments prescrits, et que dire des examens, prises de sang à répétition ? C’est le tarif « soins ».
Les résident-e-s ont à leur charge le tarif « hébergement » dont on a vu la grande diversité d’un département à l’autre.
Les EPHAD ont trois statuts distincts :
- Public : rattaché à un établissement de santé ou à un CCAS (Centre communal d’action sociale).
- Privé non lucratif : association ou réseaux mutualistes.
- Privé lucratif
Depuis quelques années le secteur public est en perte de vitesse.
Secteur public : de 57% en 2007 à 42% en 2015
Secteur privé non lucratif : de 27% en 2007 à 35% en 2015
Secteur privé lucratif : de 16% en 2007 à 23% en 2015
D’une certaine façon, il existe une industrie de l’or gris : des groupes français côtés en Bourse prospèrent au détriment des résident-e-s et des personnels des EPHAD. Dans tous les secteurs le taux d’occupation des places augmente, passant de 95,4% (en 2003) à 96,8% (en 2015). Le temps d’attente augmente également. Un mois pour près de 60% des cas, mais plus de trois mois pour 25%, et plus de six mois pour 17% des cas. La moyenne de séjour est de deux ans et demi.
Les EPHAD lieux de souffrance
C’est ce qu’affirme le CCNE (Comité consultatif national d’éthique) dans son avis sur la façon dont sont prises en charge les personnes âgées. Le CCNE parle dans son étude de « concentration » pouvant générer des situations parfois indignes. Les résident-e-s doivent payer souvent très cher pour vivre dans un établissement qu’ils -elles- n’ont pas choisi et qu’ils -elles- subissent en silence. Difficile de laisser sa vie derrière soi et de se retrouver dans ses dernières années seul-e, dans une chambre à vivre comme dans un monastère, prenant seulement les repas avec des personnes qu’il faudra apprendre à connaître. Bien sûr la famille, le personnel, font ce qu’ils peuvent, mais la tâche est immense. Sans remettre en cause le professionnalisme du personnel, le CCNE pointe la pénurie de ce personnel et des moyens, ainsi que la rationalisation des soins qui en découle. Un fort sentiment de solitude est ressenti par les résident-e-s.
Un psychiatre spécialiste de la personne âgée, Pierre Vandel, nous alerte : 40% des résident-e-s des EPHAD présentent un syndrome dépressif, 11% ont même des idées de suicide. La France a le taux le plus élevé de suicides de personnes âgées de plus de 75 ans au sein de l’Union européenne. Après 85 ans, ce taux de suicide devient le plus élevé de la population.
Quelles alternatives à l’EHPAD ?
Pour le Comité consultatif national d’éthique il convient de penser le développement « d’EPHAD hors d’HEPAD » sous la forme d’un ou deux étages dans les immeubles nouvellement construits. Idée louable mais qui risque de rester lettre morte. Par la loi ELAN (Évolution du logement et aménagement numérique) le gouvernement n’a-t-il pas ramené les logements « accessibles » aux handicapé-e-s dans les nouvelles constructions, de 100% à 10% pour répondre aux exigences des promoteurs immobiliers ? Pour atteindre l’objectif fixé par le CCNE il faudra une importante mobilisation et créer durablement un véritable rapport de force.
Constatant la méconnaissance de la population sur les conditions de vie des personnes âgées, le CCNE préconise de « penser l’aide aux plus vulnérables comme un devoir démocratique nécessaire dès l’école ».
Toutes ces pistes sont intéressantes. Mais le Conseil n’est que consultatif, et rien ne sera obtenu sans la lutte. Ne doit-on pas mettre en avant l’aide au maintien à domicile des personnes âgées – mesure qui a leur préférence ? Adapter l’appartement à la personne en y faisant les travaux nécessaires serait moins onéreux que le séjour en maison de retraite et surtout éviterait son déracinement.
Valoriser, mieux former, mieux accompagner dans leur parcours professionnel les personnels du maintien à domicile ; comme pour leur collègues des EHPAD, créer des emplois mieux rémunérés afin de prendre en compte la pénibilité des soins… Ne doit-on pas encourager le développement des habitats communs autogérés (immeubles, maisons …) ? Loin d’être des ghettos de personnes âgées, ce serait des lieux ouverts à tous et à toutes permettant la rencontre, l’échange avec les voisins, les habitants du quartier par delà les âges.
La société capitaliste écrase l’humain (jeunes et vieux). Pour cette raison elle n’est ni réformable, ni amendable. C’est pour cela que nous avons besoin d’une société anarchiste. C’est par des oasis libertaires dans le désert capitaliste que nous reprendrons courage et envie d’aller de l’avant.
Mais peut-être que pour nous
Nous les vieux de demain
La vie aura changé,
En s’y prenant maintenant
Nous-mêmes et sans attendre
À refaire le présent. »
Le Vieux (François Béranger)
Jean-Jacques Chatelux
Groupe anarchiste Salvador-Seguí