Depuis son arrivée au pouvoir il y a maintenant plus d’un an et demi, celui qui se rêve en Jupiter, avec derrière lui sa majorité parlementaire, n’en finit pas de multiplier les projets de réforme « Big Bang ». Pas de demi-mesure pour le nouveau locataire de l’Elysée ; son égo démesuré doit trouver à s’incarner dans des réformes profondes et ultra-libérales qui viennent balayer des acquis sociaux majeurs et des droits fondamentaux, nous livrant ainsi toujours davantage à la violence de l’État et du système capitaliste ainsi qu’à l’avidité des patrons. Après la loi travail Travail XXL opérant une révolution certaine en matière de droit du travail notamment par le principe d’inversion des normes, ou encore l’inscription dans le droit commun de l’Etat d’urgence, la nouvelle cible annoncée du gouvernement sera le régime des retraites, institution majeure de notre société garantissant une certaine solidarité (bien mise à mal au gré des dernières réformes) entre les générations.
Là où d’autres réformes portées par des gouvernements antérieurs visaient à reculer l’âge de départ à la retraite, la classe politique au pouvoir annonce une refonte de notre modèle de cotisation modifiant les principes même de son fonctionnement. Le gouvernement entend en effet enterrer les régimes de retraite spéciaux tout en remplaçant le système de cotisation par trimestre par un système à points.
Les experts en communication du gouvernement se sont bien activés et le même leitmotiv n’a pas tardé à être repris par tous les politiciens d’En Marche : « un euro cotisé va ouvrir les mêmes droits pour tous ». De son côté, la ministre Agnès Buzyn martèle à qui veut l’entendre que le projet en cours d’élaboration institue une « universalité des droits » inédite. Mais sous le vernis progressiste que nous vendent communicants et politiciens, le nouveau système de retraite qui se profile n’en reste pas moins bien plus inégalitaire et injuste que celui qui prévaut actuellement.
Aujourd’hui, le régime de base de la sécurité sociale fonctionne sur la base des annuités de cotisation : c’est le nombre de trimestres cotisés qui ouvre le droit à une retraite à taux plein. Le montant de ce taux plein est calculé à l’aune des meilleures années du travailleur. Avec le système à point, on cotise désormais tout au long de sa vie pour obtenir les dits points, mais impossible de connaître leur valeur. Impossible donc de savoir à l’avance le montant de sa retraite. Le gouvernement pourra ainsi mécaniquement faire baisser le montant des pensions de l’ensemble des retraités en réduisant simplement la valeur dudit point. Et pour cela, pas besoin de consultation des organisations syndicales. De même, et sans que cela soit vraiment assumé par le gouvernement, le projet annoncé poserait implicitement un âge de départ à la retraite pivot (valant pour tous quelle que soit la durée de cotisation) fixé à 63 ans, soit un an de plus qu’aujourd’hui.
La réforme s’attaque également aux plus précaires en calculant les pensions sur l’ensemble de la vie active. Avec la fin du système de calcul de la retraite sur la base des meilleures années, ce sont les carrières les plus hachées, les plus entrecoupées de périodes de chômage ou d’arrêt qui se voient particulièrement impactées par la réforme : les femmes, les intérimaires, les précaires, etc. Ici, c’est l’ensemble de la vie active qui pèse dans le calcul ce qui tend à tirer les pensions vers le bas. Un tel système est d’autant plus inquiétant qu’il prend place dans un contexte socio-économique où le modèle du CDI reflue toujours davantage pour laisser la place à des formes de contrats de travail plus précaires et volatiles et qui condamnent nombre d’entre nous à des périodes d’inactivité forcées. Rappelons aussi que ce projet, par l’insécurité qu’il instaure en matière de pension, fait la part belle aux fonds de pension privés qui déjà se frottent les mains à la perspective de l’afflux que va provoquer chez eux cette réforme.
En bon héros de l’ultra-libéralisme et de la casse sociale, le gouvernement Macron/Phillipe s’attaque donc une nouvelle fois, à travers le régime des retraites, à un mécanisme de solidarité central de notre société qui, bien qu’imparfait et inégalitaire à certains des égards, vaut bien mieux que celui que politiciens et éditorialistes tentent de nous vendre. Bien sûr, à l’heure où les possédants ne cessent de s’attaquer aux droits, aux allocations, aux institutions du service public, il est plus que jamais nécessaire de préparer l’organisation d’un mouvement social d’ampleur capable de faire plier un gouvernement certes fragilisé, mais qui n’en reste pas moins déterminé. Mais il nous faut aussi remettre en avant l’exigence première de la gestion des caisses de retraite par les organisations syndicales. C’est un vaste programme dans un contexte de désaffection du fait syndical parmi les travailleurs. Cette revendication de gestion des caisses par les organisations syndicales engage à remettre en avant le contrôle de la richesse et de sa répartition par les producteurs eux-mêmes. Elle remet au cœur de la vie syndicale, le réel exercice du contrôle des mandats dans la gestion des caisses sociales. De même, cette revendication doit être une porte ouverte sur des horizons nouveaux en nous invitant à penser un projet de société organisée par les travailleurs eux-mêmes, débarrassée du cynisme et des valeurs liberticides, délétères, concurrentielles que prônent patrons et politiques, possédants et exploitants.
Groupe Salvador-Seguí
Paris, le 18 octobre 2018