Arracher la chemise blanche, c’est être responsable !

Cela n’aura sans doute échappé à personne : le 5 octobre dernier, des salariés d’Air France excédés par la façon dont leur direction les traite depuis des années ont fait exploser leur colère autrement qu’avec des slogans, prenant à parti le directeur des ressources humaines de la compagnie, Xavier Broseta.

Bien sûr, comme on pouvait s’y attendre, les médias aux ordres ont immédiatement réagi, devançant parfois même les politiques, sautant sur l’occasion pour donner dans l’antisyndicalisme primaire, sport national qui figure au rang des marronniers favoris des journalistes. Ainsi, en plus d’être honteusement archaïque et dépassé, le syndicalisme serait violent, agressif. En quelques minutes, ces salariés aux lendemains plus qu’incertains sont devenus la honte de la nation (un compliment, en quelque sorte…). « Voyous », « violents », « irresponsables », la ligue des cols blancs – qu’on retrouve sur les plateaux télé, dans les rédactions ou lors de meetings politiques – n’ont pas été avares en mots pour s’en prendre à ces travailleurs, pour stigmatiser leurs actes légitimes, et ce, sans jamais vraiment chercher à bien les comprendre. Le Parisien, à l’instar d’autres journaux, est allé jusqu’à nous pondre une une avec la photo du DRH sans chemise surmontée d’une cartouche « Injustifiable » bien péremptoire. Un traitement de l’info qu’on n’a, bien sûr, jamais vu de la part de ce quotidien quand il a s’agit d’évoquer dans ses colonnes les 3000 licenciements prévus par la compagnie dans les mois à venir.

Derrière l’agression, l’autodéfense

Bien sûr, certains n’ont pas manqué de pointer, à juste titre, la violence du plan social d’Air France : trois mille vies en sursis – car c’est bien de cela dont il s’agit in fine – est autrement plus grave, plus brutal qu’une pauvre chemise de merde. Malgré les piaillements opportunistes de quelques pontes de la politique (Jean-Luc Mélenchon et Cécile Duflot en tête), qui déjà pensent aux régionales à venir, l’État n’a pas tardé à mettre en route la mécanique bien huilée de la répression – aidé en cela par les vidéos des journalistes… Ainsi, lundi 12 octobre dernier, les flics ont arrêté cinq syndicalistes suspectés d’avoir abîmé la chemise de M. Broseta. Résultat ? Cinq gardes à vue de… trente heures ! Le verdict de la Justice, lui, sera un poil plus lent et ne tombera que le 2 décembre prochain. En attendant, tâchons, en ce qui nous concerne, d’être présents aux rendez-vous de solidarité qui, j’en suis sûr, ne manqueront pas de s’organiser.

Mais si on a donc un peu parlé de la violence des licenciements, on a en revanche un peu trop tendance à oublier que, en ciblant Xavier Broseta, l’arrachage de chemise s’en prenait aussi, au-delà de la politique antisociale de la compagnie, à la direction des ressources humaines en tant que telle, c’est-à-dire en tant qu’institution. Une institution violente par essence, par nature, dont le simple nom suffit d’ailleurs à traduire la façon dont le monde de l’entreprise considère les travailleurs : nous sommes une ressource, au même titre que le pétrole, le fer, le sable. Une ressource indispensable qu’on dirige, qu’on gère, qu’on manage… qu’on violente au quotidien. Combien de salariés ont aujourd’hui à souffrir de leur DRH ? Combien sont victimes du chantage à l’emploi, de menaces – toujours polies, bien sûr – de licenciement, d’entretiens disciplinaires, d’évaluations humiliantes ? Combien sont, au quotidien, encadrés, oppressés, harcelés par les petits chefs aux ordres de cette institution infamante qui espionnent, contrôlent, réprimandent, menacent ceux qui sont sous leurs ordres ?

Si bon nombre de gens se reconnaissent aujourd’hui plus ou moins dans l’action des salariés (selon un sondage Ifop publié, bon gré mal gré, par Le Parisien, 54 % des personnes interrogées comprennent les violences commises lors du CCE d’Air France… et pam !), c’est parce que la chemise blanche arrachée n’est pas seulement celle de Broseta, c’est aussi celle de notre patron, de notre DRH, de notre manageur, des actionnaires des entreprises qui nous emploient. Aussi la chemise blanche est-elle, en quelque sorte, l’un des symboles forts de la forme actuelle de l’exploitation et de la domination économiques. L’arracher, ce n’est pas être irresponsable, c’est, au contraire, se défendre, c’est cesser de se résigner, c’est abîmer l’idole managériale. C’est prendre la responsabilité de sa propre vie, décider de ne plus se laisser faire, de ne plus se faire avoir, humilier, malmener. Du point de vue de la liberté, c’est non seulement tout à fait responsable, mais c’est aussi profondément admissible et légitime. Et c’est pourquoi, au-delà des menaces de l’État, on devrait peut-être aujourd’hui faire entendre un nouveau mot d’ordre : nous ne sommes pas leurs ressources, déchirons les chemises ! Celles de nos exploiteurs, mais aussi celles que nous portons nous-mêmes et qui, comme des camisoles, brident nos révoltes.

Guillaume Goutte
Groupe Salvador-Seguí de la Fédération anarchiste


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